vendredi 29 octobre 2010

Extrait 3 de "Ludovic Lagarde. Un théâtre pour quoi faire"

Extrait de l'Essai : "Des textes de Cadiot au théâtre de Lagarde : enjeux et stratégies de l'adaptation"
Conclusion de l'analyse de Un nid pour quoi faire  (p. 156-58)


« on dirait une pièce de théâtre »[1]

Bien que le spectacle intègre d’autres media que le théâtre, ou peut-être précisément pour cela, Un nid pour quoi faire s’avère infiniment théâtral. L’hybridité de l’écriture de plateau caractérise déjà l’écriture de Cadiot, qui convoque dans ses romans la poésie, le cinéma et les arts plastiques, et se réverbère dans l’écriture musicale de Burger, entre rock mutant, jungle de samples, électronique acide ou lunaire et poésie contemporaine.[2] Le théâtre de Lagarde se nourrit de la rencontre avec d’autres arts. Respectueux des disciplines qu’il accueille, il ne se définit pas pour autant comme un théâtre-collage issu de juxtapositions mais se fonde sur un échange véritable, qui induit une réflexion sur la nature même du théâtre, sa spécificité et ses limites. Doit-on dès lors parler de théâtre à la limite ? Il s’agit bien plutôt d’un théâtre dont Lagarde, en pionnier, n’a de cesse de repousser les limites. Pour cela il développe une poétique de la résistance du théâtre au théâtre, résistance dynamique, comme nous avons tâché de le montrer, qui n’empêche pas le théâtre de se réaliser, mais donne à voir et à entendre différemment. Productive de forme et de sens, la friction du théâtre à d’autres modes de création permet à Lagarde de penser une nouvelle façon de faire du théâtre, de définir une nouvelle forme de théâtralité, de créer, selon Barthes, « une épaisseur de signes ».[3] Loin de tout protectionnisme, le metteur en scène tend à affirmer l’identité du théâtre comme un art accueillant, syncrétique, un carrefour. Avec Un nid pour quoi faire, il franchit une nouvelle étape en inscrivant explicitement sa démarche sur le plateau. Les emboîtements et les cadres successifs ne participent pas d’une structure enfermante, du fait même de la présence de l’écran, immense fenêtre ouverte sur l’extérieur, source permanente d’effets de relance. Pour paradoxal que cela puisse paraître, c’est précisément la confrontation avec d’autres univers artistiques qui permet cette plongée vertigineuse au cœur même du théâtre, ce retour sur sa spécificité. L’exploitation de l’aire de jeu dans toutes ses dimensions suggère bien l’écriture en rhizome qui résulte de cette tension permanente entre l’intérieur et l’extérieur. Il ne s’agit pas pour Lagarde de détourner des formes pour se lover confortablement à l’intérieur, tel un bernard-l’ermite dans une boîte scénique, mais bien de les interroger sans relâche pour repenser la place du théâtre dans la société et le paysage artistique actuels. C’est probablement cette conception généreuse d’une écriture accueillante, sur la page ou sur le plateau, d’une écriture qui « ouvre tout en vissant »,[4] qui réunit par-dessus tout le tandem Cadiot-Lagarde. En ouvrant leur art à d’autres influences qui lui permettent d’évoluer, de ne pas rester figé, en cultivant les frictions disciplinaires dont il sort enrichi et plus fort, Cadiot et Lagarde ont à cœur d’affirmer son identité. En ce sens, probablement, ils pratiquent l’un et l’autre un art engagé.



[1] Un nid, op. cit., p. 27.
[2] Voir le site internet de Rodolphe Burger : http://www.rodolphe-burger.fr
[3] Roland Barthes, « Le Théâtre de Baudelaire », in Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, p. 41.
[4] Entretien avec Olivier Cadiot, in Le Matricule des anges, n°41, nov-dec 2002, p. 14-23.

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